CONFERENCE " Que vive l'Ecole Publique ! " à Ivry sur Seine le 23 mars 2024 |
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Dans l’édition du 23 février 1850 du Journal pour rire , une rev ue humoristique créée par le républicain Charles Philipon le 5 février 1848, dans la
quelle le tout jeu ne Gustave Doré a révélé son talent, Bertall publie une caricature représentant un enfant écartelé entre un partisan de Voltaire et un
prêtre armé du catéchisme. Ce dessin de presse traduit bien l’enjeu du débatautour de la loi Falloux, votée le 15 mars 1850, au cours duquel Hugo lance sa
formule demeurée célèbre : « L’É glise chez elle et l’É tat chez lui.» Il marque aussi la v iolence d’une guerre scolaire d ont les hommes d e progrès sont sortis
vainqueurs dans les dernières décennies du XIX e siècle mais dont la victoire a été ternie par l a parenthèse réactionnaire et cléricale du régime de Vichy puis
trois quarts d e siècle plus tard, par le revers pour le moins d urable de la loi du 31 décembre 1959 sur les relat ions entre l’ État et l’enseignement privé qui
bénéficie depuis lors d’un financement public considérable.
À certains égards, Mme Oudéa-Castéra, qui a vanté les prétendus mérites de l’école catholique et dénigré les professeurs de l’enseignement public,
considérés comme des tire-au-flanc, le jour même de sa prise de fonctions enqualité de ministre de l ’Éducation nationale, aurait sans aucun doute inspiré
Bertall si cel ui-ci avait survécu jusqu’à nos jours. Dans le Canard Enchaîné, le dessinateur de presse Placide a dignement pris le relais de Bertall : en tenue
de tennis, l a porte-parole officieuse du secrétariat général de l’enseignement catholique pleure à chaudes larmes tandis que le président de la République
dit au P remier ministre que ce f ut une erreur de lui faire sauter une classe,fine allusion au différend qui opposa la dame à l’institutrice de l’école Littré à
propos de son fils inscrit en classe maternelle. Le cursus scolaire d’exception d’un enfant de privilégiés du VI e arrondissement n’attendant pas le nombre
des années, les parents Oudéa-Castéra exigeaient en effet q ue le jeune élève enjambât un échelon. À l’arrière-plan, la foule brandit une pancarte compor
tant l’inscription « Oudéa-Castéra démission ». La guerre scolaire connaît apparemment un épisode de haute intensité.
La mise en cau se de l’ École publique procédant en général de pouvoirs autoritaires, la loi Debré obéit à cette règle : elle a sauvé l’enseignement ca -
tholique et fragilisé l’enseignement public au moment où Bonaparte revenait du royaume des morts, revêtu d’un autre uniforme de général. Il faut donc
sortir de cet te situation, sans doute dans le cadre plus large de la réalisation des conditions politiques de la fin de la Cinquième République
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Les régimes autoritaires contre l’École publique
Un retour vers le passé permet de se convaincre que l e caractère émancipateur d’une instruction pu blique à vocation rationaliste et universaliste
provoque l’ire des régimes autoritaires. E n effet, la première obéit au principe supérieur de liberté de conscience, qui englobe celle de l’enseignement, et
s’accommode donc mal avec les seconds.
- Le principe supérieur de liberté de conscience commande le respect de celle de l’enseignement
Parce que la liberté de conscience garantie par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation d es É glises et de l’État est la mère de
toutes les autres à certains égards, les laïques – du moins pour ce qui concerne la France, la situation pouvant être d ifférente dans d’autres pays
défendent la liberté de l’enseignement offrant aux familles, en raison de leurs
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convictions, la faculté de confier leurs enfants aux mains de maîtres de l’enseignement privé ou de leur délivrer une instruction à domicile, sous réserve
de protéger les élèves des mauvais traitements et de tout lavage de cerveau .
Cette co nviction profonde appelle immédiatement trois observations d e nature à en éclairer le sens profond.
D’une part, les pseudo-défenseurs d e la liberté de l’enseigneme à la sauce romaine n’ont pas hésité récemment, pour des motifs xénophobes in
avoués, à réd uire comme une peau de chagrin la possibilité offerte aux parents, depuis la loi Ferry d u 28 mars 1882, d’instruire leurs enfants à la mai
son : l’article L. 131-11-1 du code de l’éducation introduit par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République la restreint drasti
quement. De leur côté, sur ce point, les laïques souhaitent rétablir intégrale -
ment le texte fondateur de 1882.
D’autre part, les deniers publics doivent être exclusivement réservés à
l’école de la République dans la m esure où celle-ci est, en dernier ress ort, la
seule à délivrer un enseignement véritablem ent libre, entièrement affranchi
des croyances découlant de la f oi d u charbonnier, uniquement fondé sur la
raison et la scien ce. Dans ce s conditions, la dilapidation des fonds publics en
faveur des écoles confessionnelles, qui constituent la béquille de tous les o bs -
curantismes, de tous les cléricalismes et de toutes les religions, mérite d’être
regardée comme une atteinte à la pleine li berté de l’enseigneme nt découlant
de l’absolue liberté de conscience des parents comme des élèves .
Enfin, toute vraie liberté, y compris celle de l’enseignement, ne peut
s’exercer qu’en dehors de la tutelle de l’État de même que toute véritable dé -
mocratie ne s’appuie que sur l’instruction laïque à tous les degrés. Dans u n
discours du 30 juillet 1904 prononcé à Castres, Jean Jaurès posait à cet égard
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