Question à l'étude 2011 : Quelle instruction, avec quelle pédagogie pour quelle émancipation ?

 

 


Proposition de question à l'Etude 2010/2011

présentée conjointement par les fédérations de Savoie et de la Loire.

 

La République a toujours voulu, comme tout pouvoir politique, une pédagogie scolaire particulière destinée à ses propres objectifs. Ils furent pour la IIIe République : républicains, laïques, démocratiques, militaires et colonialistes avec une pointe de social.

En opposition, le mouvement révolutionnaire, ouvrier, libertaire, syndicaliste, pédagogiste a initié souvent des contre-projets sur la base de la liberté individuelle des enfants, régie en indépendance ou face à face à la volonté des parents.

A l'heure où l'école publique est démantelée, il convient de se reposer les questions fondamentales : Le débat ne reste-t-il pas entier : Quelle instruction, avec quelle pédagogie pour quelle émancipation ?

 

Quelques pistes de réflexion :

•  Ce débat fut-il réellement opérant à ses débuts ?

•  Offrait-il un réel choix d'instruction et d'éducation ?

•  Les choix « pédagogistes » permettent-ils une instruction, éducation, formation supérieure à la morale « bourgeoise » républicaine ?

•  Comment ne pas constater que les choix de « pédagogie libertaire » ont été utilisés (à leur corps défendant ?) comme des moyens de destruction du principe égalitaire du droit à l'instruction ?

 

 

Adoptée à l'unanimité moins 3 abstentions

 

 

 

Résolution du congrès de Foix du 22 au 24 août 2011

 

Quelle instruction ? Avec quelle pédagogie ?

Pour quelle émancipation ?

 

Le congrès national de la Libre Pensée réuni à Foix (Ariège) a tiré les conclusions des travaux menés dans les fédérations et par des libres penseurs à titre individuel au sujet de la question à l'étude : Quelle instruction ? Avec quelle pédagogie ? Pour quelle émancipation ?

 

La Libre Pensée ne prétend pas donner un point de vue définitif

 

Bien entendu sur un sujet aussi vaste et aussi fondamental, la Libre Pensée ne prétend pas, pas plus en ce domaine qu'en un autre - et probablement en l'espèce encore moins que sur d'autres sujets – donner un point de vue définitif. Mais elle s'est proposée modestement de baliser une réflexion approfondie à cet égard, aux fins d'éclairer la manière d'aborder l'ensemble complexe des problèmes qui sont soulevés par les questions posées.

 

Tout d'abord, à travers tous nos travaux, l'Instruction a été appréhendée comme un but qui fait l'unanimité. Instruire c'est, dans la tradition de Condorcet: 

 

•  Rassembler les conquêtes de l'Humanité, intellectuelles, artistiques, techniques et artisanales, scientifiques et médicales…*

•  Permettre à chacun de se les approprier à l'aune de ses propres capacités, dès lors que celles-ci ont été cultivées.

C'est le but de l'Instruction pour tous. Il s'en faut que ce but ait été la marque constante des sociétés organisées au cours du développement historique. Pour accéder aux éléments de savoir réel que le système éducatif pouvait alors dispenser, allant au delà d'une alphabétisation plus que sommaire offerte par les « petites écoles » et d'ailleurs très inégalement répandue, donc à l'époque précédant la conquête révolutionnaire de la démocratie, les écoles secondaires de l'Ancien Régime en France, étaient des écoles de caste, fermées, brutalement élitaires, sous le monopole exclusif de l'Eglise catholique, et auxquelles l'écrasante majorité de la population ne pouvait prétendre.

 

La troisième République en France a posé  les fondements d'une école primaire accessible à tous .

 

En proclamant l'instruction obligatoire et l'école gratuite et laïque, la troisième République en France a jeté les fondements d'une école primaire accessible à tous. On ne saurait trop insister sur le caractère révolutionnaire de cette mesure et l'ampleur de ses conséquences pratiques. L'école publique, laïque et gratuite, qui s'ouvre avec la Révolution française, est, à son image, quelque chose à quoi on adhère intellectuellement et « en bloc ». Les critiques qui en sont faites procèdent du dénigrement antirépublicain. Cela ne veut pas dire que nous approuvions l'entraînement militaire ou les « devoirs envers Dieu », préconisés aux origines de l'école publique, reproches marginaux et sectaires mis en exergue par des dénigreurs professionnels de cette immense conquête. Bien entendu, ce qui est important dans cette conquête ce n'est pas la lettre, le détail de telle ou telle mesure liée à un contexte, mais la dynamique dont cette école laïque et gratuite fut porteuse, au point d'avoir pris pied dans l'enseignement secondaire via les Cours complémentaires et d'y avoir conquis un espace qui dépassa le premier cycle des lycées traditionnels, voire au-delà (classe préparatoire à l'Ecole Normale d'Instituteurs). Nous étions alors sur la voie de l'enseignement secondaire pour tous - non sous la forme dégradée où cela s'est réalisé, avec la Ve République, le ministre Haby et tous ses successeurs sans aucune exception - mais sous une forme populaire et démocratique, au vrai sens de ces deux termes. Alors que, aux origines, les buts poursuivis par la bourgeoisie industrielle correspondaient à ses besoins en main d'œuvre qualifiée, aujourd'hui, il en est tout autrement puisque l'OCDE elle-même, après avoir considéré que l'Education est devenue un marché rentable, déclare que les pouvoirs publics doivent uniquement « assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un monde rentable, et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera alors que d'autres continueront à progresser » ** Pour défendre l'Instruction publique, nous nous heurtons donc désormais à l'alliance complète du capitalisme pourrissant et du parti clérical.

 

La pédagogie instrumentalisée

 

Certes, y compris sous la 3 e République, les enseignants ont dû se battre avec leurs organisations syndicales pour imposer leur liberté pédagogique. Il n'en reste pas moins, et ce dès les origines de toute société organisée, que la place de la pédagogie a longtemps été simple : toute méthode pédagogique facilitant l'acquisition des connaissances prévues au programme de chaque classe d'âge était retenue, conseillée voire promue ; en démocratie, chaque enseignant doit demeurer toujours, au bout du compte, libre de ses choix.

Mais, dans le même temps où, loi après loi, les ministres successifs de la Ve République démantelaient l'Ecole publique laïque, la pédagogie est devenue le pré carré de pédagogues plus ou moins officiels qui en ont fait dans un premier temps non plus un moyen au service du savoir, mais un but en soi. Dire cela, ce n'est pas déprécier la pédagogie, bien au contraire. C'est la remettre à sa vraie place qui est primordiale dans le processus délicat d'acquisition des connaissances. Toute méthode pédagogique qui facilite cette acquisition est à retenir et à promouvoir, dans le respect le plus absolu de la liberté professionnelle des maîtres.

A contrario, la conception « religieuse » de la pédagogie comme un absolu détaché de ses buts pratiques est une plaie réactionnaire de notre temps.

Naguère, agissant sur le terrain, au contact des élèves, chercheurs et/ou praticiens étaient le plus souvent respectables, y compris parfois dans des excès, parce que liés à une pratique de classe ; aujourd'hui les soi-disant penseurs de la pédagogie les plus en vue sont devenus des gourous insupportables et contre-productifs qu'il faut caractériser pour ce qu'ils sont. Ce sont des réactionnaires inspirés par l'Eglise romaine et sa doctrine sociale portée par les tenants d'une école nouvelle réunis à Amiens en 1968. Ils y ont fait la promotion des idées du personnalisme et de celles de la CFDT, dont Philippe Meirieu est l'héritier zélé.

Ils accompagnent toutes les mesures de destruction pour mieux les dissimuler, les présentant parfois comme autant de pas en avant ! Souvent, leurs positions se présentent dans un charabia « savantasse » pour davantage servir leurs desseins serviles. Leur entreprise se traduit en effet par l'usage d'un vocabulaire techniciste pseudo-scientifique mystifiant que nous dénonçons.

 

Par ailleurs, on assiste actuellement à une inflation d'évaluations portant sur les « compétences » (« savoir-être », comportement) au détriment des acquisitions disciplinaires, systématiquement dévalorisées.

En outre, des centaines d'heures consacrées autrefois à l'instruction, sont utilisées à des activités visant à formater les jeunes esprits, pour les soumettre aux idéologies réactionnaires : éducation à la citoyenneté, à l'humanitaire charitable etc. etc.

Aujourd'hui, cette pédagogie frauduleuse est présentée aux jeunes enseignants comme le seul remède aux difficultés immenses auxquelles ils sont confrontés, conduisant nombre d'entre eux au désespoir.***

Qui plus est, cette pédagogie frauduleuse est relayée par l'OCDE et son système PISA qui entend comparer les systèmes pédagogiques de différents pays à partir d'un « socle commun des connaissances », si étroit qu'aucune comparaison n'est possible, et qu'il sert de prétexte à supprimer des pans de programme, voire des disciplines entières.

Face à cela, la Libre Pensée réaffirme la haute valeur de la pédagogie au service du développement intellectuel et physique de l'enfant, pour faciliter l'accès de celui-ci aux connaissances fondamentales.

La pédagogie est un outil au service d'un contenu, non une fin en soi. La pédagogie n'est pas une science, beaucoup pensent qu'elle est un art.

 

L'instruction généralisée est seule à même de donner au peuple, dans son effort pour s'émanciper complètement, les outils de la réflexion

 

Ainsi s'esquisse une position nuancée de la Libre Pensée. Nuancée, ce qui ne signifie pas, on l'a vu, molle et indéterminée mais consciente de la complexité des problèmes liés à l'instruction. Le but de cette dernière est l'émancipation de l'individu pour que le maximum de ses potentialités puisse s'épanouir. L'instruction généralisée ne prétend sans doute pas - et il serait pour elle funeste d'y prétendre - pouvoir à elle seule changer la société telle qu'elle est, dominée par le Capital, modelée par les doctrines sociales des religions, soumise au militarisme et aux guerres. Mais elle est seule à même de donner au peuple dans son effort pour s'émanciper complètement les outils de la réflexion qui entretiennent un rapport non mécanique mais évident avec l'ampleur du savoir acquis.

De plus, les stricts droits légaux et fondamentaux de l'individu doivent être respectés en excluant notamment tout fichage informatique des données personnelles de l'élève et de sa famille ainsi que leur diffusion à l'extérieur des établissements scolaires.

Garantir aux enfants les mêmes droits sans discrimination, et donner aux enseignants et à l'instruction publique en général les moyens de réaliser leur mission dans les meilleures conditions et indépendamment de toute ingérence religieuse ou patronale doit être la priorité à mettre en œuvre. Nous condamnons aussi, bien évidemment, l'intervention de plus en plus fréquente de la police dans nos établissements scolaires. Nous n'y acceptons pas non plus la propagande militaire et mercantile.

 

Les classes opprimées, dans leur effort pour fonder une société de justice, d'abondance et de paix, ont un besoin vital de l'Instruction généralisée. Elles ont besoin de l'instruction comme elles ont besoin du pain, ainsi que le disait Danton. L'Instruction est formatrice de la totalité de l'individu tout en se refusant à éduquer, car ce n'est pas son rôle. En effet, l'Instruction éduque mais l'éducation n'instruit pas. En permettant d'acquérir des méthodes de penser, de rechercher la vérité, d'exprimer ses sentiments, elle est une ouverture de l'esprit à la création, à la recherche, au développement des capacités de chacun au meilleur niveau de leurs potentialités. Elle est le gage d'une émancipation individuelle rendant en quelque sorte plus urgente celle de la société tout entière.

Les remises en cause de tout l'édifice scolaire républicain depuis les lois Jules Ferry sont telles aujourd'hui que l'accès au savoir échappe de plus en plus aux enfants du peuple. Pour revenir au droit à l'Instruction pour tous et non à la mystifiante « égalité des chances », le rétablissement de l'institution scolaire dans son intégralité est indispensable. Il implique en particulier de former des enseignants en nombre suffisant, munis eux-mêmes d'une solide instruction et pleinement conscients de leur rôle émancipateur.

 

C'est pourquoi la Libre Pensée fait de l'Instruction pour tous, dans le cadre de l'école laïque et gratuite, un combat majeur .

 

Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement pour un mouvement qui « exige de ses adhérents un effort actif en vue de réaliser par les moyens humains l'idéal humain » (Congrès de Rome – motion Ferdinand Buisson – compte rendu p.258) ? Pour un mouvement qui « se refuse […] à donner de sa propre conception de [ l'idéal ] le caractère absolu et immuable que s'attribuent abusivement les religions, mais que ne comporte ni la science ni la conscience humaine, l'une et l'autre obligées de se mouvoir dans le relatif et soumises à la loi du progrès », comment pourrait –il en être autrement ?

 

Il est donc naturel que la Libre Pensée attache une importance capitale aux questions : «  Quelle instruction ? Avec quelle pédagogie ? Pour quelle émancipation ? » et il est normal que le congrès de Foix de la FNLP ait eu à cœur d'y apporter les premiers éléments de réponse qui font l'objet de cette résolution.

 

* Ce que par exemple l'Histoire libérée de toute thématique obscurantiste enseigne au cours de la scolarité.

**   Source  : Adult learning and technology in OECD countries, OCDE proceedings, Paris 1996 .

*** Le 11 août, en Isère, une jeune professeur des écoles, stagiaire, après avoir enseigné durant un an dans une classe élémentaire, confrontée à mille difficultés, s'est suicidée après avoir appris son licenciement, ses recours au Recteur étant restés sans suite.

 

Unanimité moins 1 abstention

 

 

 

 

 

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